dimanche 7 mai 2023

Manon Aubry pour une liste commune NUPES aux européennes

 LISTE COMMUNE DE LA NUPES AUX EUROPÉENNES : STOP AUX CARICATURES ! MA RÉPONSE À MARINE TONDELIER ET AUX ÉCOLOGISTES

Billet d'humeur2 mai 2023

Dans son interview au JDD ce week-end, Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV, réitère son refus d’une éventuelle liste commune de la NUPES aux élections européennes. Chacun a bien sûr le droit d’avoir un avis sur la question : je suis là pour convaincre, pas pour tordre le bras à qui que ce soit. Mais quand je disais qu’une campagne séparée risquait d’exacerber les divergences, nous en avons déjà malheureusement la preuve par les faits : les arguments qu’elle avance reposent en grande partie sur des informations erronées sur nos positions quand ce ne sont pas des caricatures.

Ce qui est d’ailleurs vérifiable assez facilement quand on s’intéresse à la réalité de nos positions et votes au Parlement européen (sauf à considérer que nos votes au Parlement ne comptent pas, ils parlent d’eux-mêmes). Nulle intention de polémiquer de ma part, simplement de répondre une bonne fois pour toutes à des arguments répétés à l’envie mais à mon sens infondés.  Je réponds donc ici à Marine Tondelier, de manière constructive, amicale (si, promis Marine ! 🙂 ) mais franche, car il est temps que nous cessions les caricatures entre nous qui à la fin pénaliseront la gauche dans son ensemble. Il faut sortir des postures : un refus de principe un an avant une élection ne peut s’appuyer que sur du fond. Alors il est temps d’en discuter sérieusement !

Extrait de l'interview de Marine Tondelier au JDD.

Marine Tondelier utilise comme premier argument les questions de politique internationale, en présentant comme irréconciliables le “rapport à la Chine, l’Ukraine, la défense européenne”. Yannick Jadot a fait de même avec des mots encore plus durs sur France Inter. Au passage,  ces caricatures sont du pain béni pour les macronistes qui aiment nous repeindre en pro Poutine matin, midi et soir : c’est bien dommage que nos partenaires alimentent les mêmes procès d’intention. Tout d’abord, si ces questions sont majeures (et je n’élude pas le débat de fond plus bas), elles relèvent d’abord de la compétence des Etats et du président de la République qui dispose de pouvoirs diplomatiques bien plus forts que le Parlement européen en la matière.  Alors comment expliquer que Marine Tondelier plaide, à raison, dans la même interview pour un candidat commun en 2027 ? Que fera et dira notre candidat commun à la présidence de la République sur la Chine, l’Ukraine, sur la défense européenne et même plus généralement au sein de l’Union européenne  ?  

Contrairement à ce que dit Marine, c’est bien parce que ces questions comptent pour nous qu’il nous faudra avoir une ligne commune en 2027 si nous voulons être crédible et gouverner ensemble. Alors parlons-en ! 

Sur l’Ukraine d’abord, j’ai condamné à travers de multiples interventions dans l'hémicycle l’agression militaire russe inacceptable, dénoncé les crimes de guerre de Poutine et demandé qu’ils soient jugés, apporté un soutien sans faille au peuple ukrainien.  Par mes votes au Parlement européen, j’ai également soutenu toutes les formes d’aide à la résistance ukrainienne. Nous avons en tout voté POUR 29 textes, résolutions, ou rapports sur le sujet ! Où est la complaisance là-dedans ? Quelle différence fondamentale avec ce qu’ont voté les verts français ? Aucune. Ah si, il y en a bien une seule : une résolution qualifiant la Russie d’”Etat terroriste” qui  aurait soi-disant semé la discorde à gauche.  Je m’en étais pourtant expliquée longuement ici en démontrant que cette notion n’avait aucune valeur en droit et pouvait s’avérer contre-productive pour la résolution du conflit. En réalité, si les verts ont choisi de voter pour la résolution dans son ensemble, ils ont également voté contre cette mention contre laquelle le Président de leur groupe avait d’ailleurs lancé la même alerte que nous 

Sur la Chine, quel est le problème ? Ai-je une seule fois par mes prises de positions publiques ou mes votes au Parlement européen refusé de condamner les violations des droits humains en Chine ou soutenu l’idée d’une invasion de Taiwan ? Voilà le texte de mon intervention lors de la plénière d’avril dans l'hémicycle où je parle du sujet : quel passage ou quel mot d’ordre ne convient pas ? J’ai condamné par mes votes la répression du mouvement social et démocratique à Hong Kong, bataillé contre l’exploitation du travail forcé des ouïghours par les multinationales européennes. Où est la complaisance ? J’accepte les critiques, mais qu’elles soient étayées et s’appuient sur des faits. Ces sujets sont sérieux : entrons dans le concret. 

Sur les questions internationales en général, notre ligne est claire : nous voulons une Europe non-alignée. Non-alignée, ce n’est pas neutre, sinon on dirait neutre. Non-alignée, c’est se positionner au cas par cas avec comme seule boussole le respect du droit international et le cadre de l’ONU. Pas de guerre en Irak menée  par les Etats-Unis. Pas d’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine. Pas d’invasion militaire de Taiwan par la Chine.  Où est la différence fondamentale avec les verts ? Sur l’Europe de la défense, nous n’avons jamais dit qu’il ne fallait aucune coopération européenne en matière militaire et nous travaillons d’ailleurs actuellement à proposer un modèle alternatif. Mais l’Europe de la défense, telle que proposée aujourd’hui par la Commission, est sans conteste sous la coupe de l’OTAN et donc des intérêts des Etats-Unis. Les verts ont d’ailleurs longtemps  été critiques de cette affiliation à l’OTAN qui empêche l’émergence d’une Europe géopolitique en capacité de peser : cela a-t-il changé ?

Marine Tondelier parle ensuite d’une volonté d’une Europe “plus forte”. Mais de quoi parle-t-on en pratique ?  Si une “Europe forte”, c’est mettre fin à l’unanimité sur les questions fiscales pour lutter enfin contre les paradis fiscaux ou créer des ressources propres supplémentaires comme la Taxe sur les Transactions Financières pour financer des investissements écologiques, on signe. Si c’est pour supprimer le droit de véto (déjà affaibli) des États sur les accords de libre-échange, sans qui 15 traités supplémentaires seraient signés chaque année, on est contre. C’est ce que souhaiteraient les verts ? Si c’est pour des objectifs climat ambitieux ou des droits sociaux renforcés, on est d’accord. Si c’est pour appliquer la règle austéritaire absurde des 3% de déficit  ou empêcher tous les monopoles publics au nom du droit européen de la concurrence, on est pour désobéir. Les verts veulent-ils accepter le retour de l’austérité annoncé la semaine dernière par la Commission avec des sanctions renforcées contre les États récalcitrants ? N’ont-ils rien à redire à la fin des tarifs règlementés du gaz et bientôt de l’électricité imposée au nom de la sacro-sainte règle de la concurrence inscrite en lettre d’or dans les traités ? 

Je sais bien que non.  Leur ancien 1er secrétaire a même écrit un livre intitulé “désobéir pour sauver l’Europe”. Donc vous le voyez, la question “pour ou contre une Europe plus forte” n’a pas de sens : le débat, c’est évidemment sur quoi et pour quoi. 

Vient ensuite, l’éternel débat de “l’Europe fédérale”, question théorique qui a toujours animé les discussions enflammées de fin de soirée à gauche comme à droite. C’est une vision à un siècle, qui n’a au passage aucune réalité tangible vu les rapports de force au sein de l’UE aujourd’hui. Qui imagine, dans les circonstances actuelles, que les États membres vont se dissoudre d’ici 2029 dans un État fédéral européen ? Ce n’est pas sérieux.  Depuis 4 ans que je siège au Parlement européen, je n’ai jamais eu à voter concrètement sur l’“Europe fédérale”.  Par contre j’ai voté sur les accords de libre-échange, la régulation des pesticides, les mesures éthiques contre les lobbies, la réorientation de la PAC, les droits des travailleurs ubérisés. Et sur tout cela, j’ai tenu la même position que mes collègues écologistes. C’est pour cela que nous avons plus de 80% de votes en commun et même bien plus sur de très nombreux sujets. Si on prend au sérieux les élections européennes, ce sont donc ces sujets qui comptent car ce sont ceux sur lesquels les députés européens ont du pouvoir. 

C’est mon dernier point de désaccord avec l’interview de Marine Tondelier.  C’est précisément parce que les questions européennes sont importantes pour nous qu’il est essentiel de s’accorder dessus. Comment expliquer aux électeurs que nous serions incapables d’établir un programme d’actions commun en 2024 mais que nous le pourrions en 2027 alors que c’est le Président de la République qui pourra justement faire bouger les lignes en Europe ? Quel est l’intérêt de se mettre une épine dans le pied tout seul et de se refuser la possibilité d’arriver en tête devant le RN et Renaissance et donc d’incarner dans la tête des gens la seule alternative possible à Macron et Le Pen ? Quel est l’intérêt, aussi, de se refuser la possibilité de peser véritablement dans le jeu politique européen avec un intergroupe puissant de 25 ou 30 élus NUPES qui pourraient ré-arrimer des majorités à gauche au moment où la droite européenne fusionne avec l’extrême-droite ?

Je suis d’accord pour ne pas “instrumentaliser les questions européennes à d’autres fins”. Mais alors regardons les réalités, pas les fantasmes. Si listes séparées il devait y avoir, j'aime autant que ce ne soit pas pour de mauvaises raisons fondées sur des caricatures de nos positions et qu'on ne se mette pas de handicaps inutiles pour la suite. C’est la proposition que je faisais dans Libération la semaine dernière : partons sans a priori, ouvrons trois chantiers d’ici l’été et regardons si on est capable de s’accorder 1) sur un bilan de la mandature au Parlement européen, 2) les combats politiques prioritaires qu’on souhaiterait porter pour la prochaine, et 3) les consensus à trouver sur les sujets où ne sommes pas 100% d’accord. Voilà comment on peut avancer. 

Nous ne partons pas de rien. Il y a un chapitre Europe au sein de notre programme commun des législatives de la NUPES et contrairement à ce que disent certains, il était consensuel et sans nuances contrairement à d’autres thématiques (je rappelle que le programme comporte plus de 650 mesures dont 32 avec des divergences mais aucune sur les questions européennes).  Dans ces fameuses négociations de 13 jours et 13 nuits, la question européenne était au cœur de nos débats. Nos histoires à l’Union européenne divergent bien évidemment : j’ai fait campagne pour le non au TCE en 2005, d’autres au sein de la NUPES ont voté oui. Mais si nous avons su dépasser nos désaccords du passé, c’est précisément parce que nous avons choisi à un moment de mettre les caricatures de côté pour se projeter dans l’exercice concret du pouvoir : comment dépasser les contradictions entre nos propositions et certaines règles européennes ?  Alors bien sûr, le programme doit être enrichi, complété, mais c’est une bonne base de départ. Et tout ce travail, quel que soit le résultat, sera utile pour affiner encore notre projet commun et démontrer notre capacité à gouverner ensemble. 

Enfin, personne ne parle de “dissolution” des uns ou des autres. Où est la tentation hégémonique de la France Insoumise quand elle se dit prête à intégrer les équilibres de l’élection 2019 pour constituer la liste et à confier sa tête à un ou une écologiste ? Nous pouvons comme aux législatives lister les “nuances” qui nous sépareraient. Nous pouvons comme aux législatives siéger dans des groupes différents et nous coordonner en intergroupe. Nous pouvons comme aux législatives avoir des mots différents, des identités et des histoires différentes, mais défendre un socle commun de combats. Le parallèle que Marine Tondelier fait avec l’intersyndicale montre précisément la nécessité de se rassembler pour pousser dans la même direction face à l’urgence de la situation. A la fois face à la fusion en cours de la droite et l’extrême qui menace au Parlement européen et dans beaucoup D’États membres. Contre le retour du business as usual néo-libéral en Europe et son obsession d’austérité, de marché, de concurrence et de libre-échange. Et pour qu’une voix forte de la gauche et des écologistes français dans toute sa diversité s’exprime à Bruxelles et à Strasbourg.

Nous avons le temps, voyons-nous, travaillons comme on le fait d’ailleurs déjà au quotidien avec nos homologues écologistes et socialistes au Parlement européen. Je ne dis pas que c’est facile, je ne dis pas qu’il suffit d’un claquement de doigt pour y arriver, mais je dis que la liste commune est à la fois possible et nécessaire. Je me trompe peut-être, mais qu’on me le démontre avec des arguments sérieux et qui refusent les caricatures. Pour ne pas se priver de l’opportunité historique de l’emporter face aux macronistes et au Rassemblement National. 

Le site de Manon Aubry

Le gentil Ruffin contre le méchant Mélenchon ?

 Peut être une image de 2 personnes, barbe et texte

 Texte du groupe François Ruffin ! (Officiel) sur Facebook

 

« On ne sort, paraît-il, d’après le cardinal de Retz, de l’ambiguïté qu’à son propre détriment. »
Je ne suis pas sûr.
Un peu de clarté ne nuit pas toujours.
Depuis que je m’assagis, depuis que L’Obs et Libé font leur Une sur ma pomme, j’ai pas mal de nouveaux amis. De la « deuxième gauche », on dira. Des anciens sympathisants socialistes, voire des ex-ministres, tant mieux, je prends. J’entends monter la petite musique du « gentil Ruffin » contre le « méchant Mélenchon », chez des éditorialistes qui n’étaient pas acquis. Ces sympathies, il ne s’agit pas de les rejeter : avoir plein de copains, c’est bien. Mais je ne veux pas les décevoir, qu’ils se trompent de canasson : car si j’ai changé, c’est vrai, dans mon expression, je varie peu dans mes convictions. Il s’agit, surtout, de ne pas tromper les Français sur le chemin, la ligne de crête, que je m’efforce de tracer, pour la gauche, pour notre pays.
***
J’ai lancé mon journal Fakir, il y a 23 ans, en 1999, sous la « gauche plurielle », donc. Ma région avait déjà subi la fuite du textile, des milliers d’emplois détruits, les licenciements en série. C’était l’ambiance de mon enfance, la toile de fond du Courrier picard sous la « Génération Mitterrand ». Mais voilà que, en cette fin des années 90, voilà que suivait une deuxième lame : Magnetti-Marelli, Honeywell, Yoplait, Lee Cooper, Whirlpool…
Quelle était la réponse du gouvernement Jospin – pour qui, bien sûr, j’avais voté ? Aucune, pas plus que durant la décennie d’avant. Ce furent « l’Etat ne peut pas tout », les élargissements européens à l’est validés, le mot « ouvrier » même plus prononcé, l’industrie qui appartient au passé, avec de la compassion pour les damnés de la mondialisation : des « plans de reclassement », des « promesses de formation », des « cellules de revitalisation »… Ce choix politique d’alors relevait de l’abandon : la gauche lâchait, sapait sa propre base sociale. Qui s’effritait.
Chez moi, à Amiens, le quartier Nord, adossé à la Zone industrielle, né pour en héberger les travailleurs, se délitait. Les immigrés et leurs enfants, bien souvent, étaient les premiers frappés, écartés d’un « marché du travail » qui se resserrait. J’accompagnais des hommes dans la tournée des boîtes d’intérim, à la recherche d’une mission de caristes. Et je voyais les femmes se tourner vers les « emplois de services » : aides à domicile, assistantes maternelles, femmes de ménage…
Je me souviens d’un tract, sur Whirlpool, que je distribuais à Amiens lors d’une « réderie », les vide-greniers de chez nous : « T’inquiète pas mon gars, m’avait répondu un mec popu, Jean-Marie va nous régler tout ça ! » Le 21 avril 2002 ne m’a pas surpris. Depuis ma Picardie, je l’avais un peu senti.
A-t-il au moins servi d’électrochoc ? Non, aucunement. Dans l’entre-deux tours, des manifs allaient clamant « F comme fasciste, N comme nazi », et je participais sans ardeur à ce rite expiatoire. Mais la gauche, c’est-à-dire à l’époque son cœur - le Parti socialiste -, revisitait-elle ses erreurs ? Révisait-elle son cap ? Non. Il fallait, au contraire, se montrer toujours plus « moderne », nier les délocalisations, ou les minimiser, oublier les travailleurs, n’évoquer au mieux que les « pauvres », les « exclus », reprendre les refrains de la droite, flexibilité compétitivité, les aménager d’une pincée de social, voire d’« Europe sociale », se débarrasser des « archaïsmes du marxisme ». Contre cette pente, je publiais un réquisitoire « La Guerre des classes ».
Le Traité constitutionnel européen fut, pour moi, en 2005, une grande campagne, un moment de vérité. Enfin, une vraie question était posée aux Français : pour ou contre « la libre circulation des capitaux et des marchandises, y compris avec les pays tiers » ? Pour ou contre « la concurrence libre et non faussée » ? Malgré l’unanimité, ou quasi, des grands médias, des grands patrons, des grands partis, la question fut tranchée avec netteté : 55% de non, bien davantage dans un coin comme le mien. Et près de 80% des ouvriers opposés. Malgré ce vote clair, un an plus tard, au Congrès de Versailles, la majorité des parlementaires socialistes validaient le traité de Lisbonne. Rien ne les ferait dévier.
L’expérience Hollande ne fit qu’enfoncer le clou. La signature du pacte Sarkozy-Merkel à peine passé l’été, le Crédit impôt compétitivité emploi, un cadeau à vingt milliards d’euros sans condition, l’accord national interprofessionnel pour « plus de souplesse » dans l’emploi, le retour du travail le dimanche, la Grèce abandonnée face à Berlin et au FMI, Florange trahi, et chez moi les Goodyear aussi… Durant la « Loi travail », au cours de Nuit debout, je prêtais serment : « Nous ne voterons plus PS. »
Que ce Parti socialiste ait porté, dans ses bagages, puis sur les fonts baptismaux, Emmanuel Macron, c’était logique. C’était dans sa logique de décomposition.
Je ne suis pas là pour refaire le procès : l’histoire a jugé, les urnes aussi. Je veux bien, même, avec clémence, avec plus d’indulgence que dans mes jeunes années, concéder des avancées, pas seulement sociétales (la peine de mort abolie, le Pacs instauré, puis le mariage gay) mais aussi sociales (RMI, CMU, emplois-jeunes, 35 h à la rigueur). Mais pour l’essentiel, c’est le long cheminement du renoncement.
Et à côté, dans la foulée du 29 mai, une autre gauche est re-née. Jusqu’alors, je votais, pour les cocos ou pour les écolos, pour Besancenot ou pour Bové, j’ai un peu tout fait, mais pour des candidatures rarement remboursées, et qui ne pèseraient guère sur notre destin commun. Ma frustration, mes convictions ont trouvé un débouché : Jean-Luc Mélenchon, que je ne connaissais pas. Je l’ai rencontré au Sénat, comme reporter, quelques jours avant qu’il ne quitte le PS. Nous avons déjeuné ensemble, et au milieu du brouhaha d’une brasserie, je lui ai recommandé L’Illusion économique, d’Emmanuel Todd (sur la nécessité, politique aussi, d’un protectionnisme) et Comment les riches détruisent la planète, d’Hervé Kempf (sur le lien, profond, entre social et écologie). J’ai assisté à la conférence de presse où il a lancé le Parti de Gauche, et j’ai appris. C’était la première fois, en entendant un homme politique, que j’avais le sentiment d’apprendre. Puis, comme compagnon de route, jamais encarté, avec toujours ma liberté, j’ai accompagné le Front de gauche, participant à toutes les universités d’été, offrant des arguments, sur le partage de la valeur ajoutée, sur le retour de l’industrie, mes intuitions sur un monde du travail blessé, délaissé. J’ai suivi ses trois campagnes, 2012, 2017, 2022, où avec son immense talent, « L’Insoumis » a sorti la gauche de l’ornière, a rendu nos idées majoritaires – sinon dans le pays, ça reste à faire, du moins dans notre camp.
Voilà le parcours qui m’a formé, forgé, longtemps solitaire, puis qui s’est trouvé des frères. Voilà ma filiation, qui part de la Grande Révolution de 1789, qui passe par Lamartine et la tragédie de 48, par Vallès et la Commune, par Jaurès bien sûr et la naissance du socialisme, par Blum et le Front populaire, le Conseil national de la Résistance, Mai 68, Mai 1981 que je fais mien, jusqu’à la coupure de 1983, « nous ouvrons une parenthèse » comme l’énonce alors Lionel Jospin, et le fil qui se renoue avec Jean-Luc : lui avec d’autres, mais plus haut que d’autres, a porté le flambeau qu’il nous passe aujourd’hui,« Faites mieux », jusqu’à réunir toute la famille, toutes les familles, communistes, écologistes, socialistes, derrière une même bannière.
***
Pourquoi revenir sur ce passé ? Parce que nous en héritons, parce qu’il n’y a pas de table rase. Parce que je préfère avancer avec clarté, sans ambiguïté. Parce que, aux hommes et aux femmes de bonne volonté qui, ces temps-ci, me trouvent quelques charmes, je veux le dire : il ne s’agit pas seulement, aujourd’hui, de rompre avec Emmanuel Macron, ce serait facile tant il est détesté. Pas même, uniquement, avec le mandat Hollande, déjà aux oubliettes. Mais notre devoir, c’est bel et bien de « fermer la parenthèse » ouverte il y a quarante années, d’en finir avec des dogmes usés.
C’est une nécessité.
C’est une nécessité pour reconquérir une confiance populaire.
C’est une nécessité pour remettre sur pied notre pays.
C’est une nécessité pour la planète.
Car que produit la concurrence partout, la concurrence sur l’énergie, les transports, l’agriculture, la concurrence entre les travailleurs, les territoires, les agricultures, la concurrence jusqu’à la lie et la folie ? Il en ressort le chaos, le désordre, un hôpital en lambeaux, des prix de l’électricité qui font du yoyo, le rail qui déraille, une école pilier de la République qui recrute ses enseignants en job-dating, bref, tout qui devient instable.
Qu’apporte le libre-échange étendu à tous les continents ? La recherche du moindre coût, social, fiscal, environnemental. Qu’engendre la compétitivité comme boussole ? Les biens communs écrasés par les égoïsmes. Chaque jour, cette doctrine, qui a dominé notre époque, qui a régné de Chicago à Bruxelles, cette doctrine ne se montre pas seulement impuissante à résoudre les crises, à commencer par la plus terrible des crises, la crise climatique, pire : chaque jour, cette doctrine creuse notre tombe.
Contre ce fanatisme du marché, les esprits ordinaires se sont révoltés, depuis un bail déjà. Non par « idéologie », mais parce qu’ils en sont affectés, très concrètement, côté emploi, dans leurs salaires et leurs horaires, dans leurs contrats précaires, mais dans leur vie quotidienne aussi, de la naissance (avec la maternité de la sous-préfecture qui a fermé) jusqu’à la vieillesse (comment payer l’Ehpad à la mamie qui souffre d’Alzheimer ?) en passant par mille anomalies (les services publics tout en numérique, le courrier postal qui devient « e-lettre rouge »). Le sens commun renâcle devant ces innovations, perçues comme des dégradations, des aberrations et pour le dire comme Gramsci, « nous vivons un temps de détachement de l’idéologie dominante ».
Des réponses se font jour, sans rien de révolutionnaires, plutôt de décence et de bon sens : c’est un libre-échange que l’on tempère, que l’on modère, sans autarcie aucune, mais avec des barrières douanières, des taxes aux frontières, selon les industries que l’on veut protéger ou faire renaître ici. C’est un travail que l’on ne flexibilise plus, mais à qui on offre statuts et de revenus, des droits associés, garanties de dignité. Ce sont des secteurs placés hors marché, hors concurrence, la santé, l’éducation, le logement en partie, l’accès à l’énergie. C’est une fiscalité juste, « que les gros paient gros et que les petits paient petits », qu’on cesse d’alléger les impôts pour les firmes, pour les grandes fortunes, tandis qu’on les alourdit, la TVA et impôts locaux, pour les modestes. Que L’État revienne aux manettes, et pas seulement pour distribuer des aides, des aumônes, des subventions, mais pour piloter les grandes transformations, l’impérative transition.
Voilà, en gros, qui ferait consensus.
Comme slogan, j’entends évoquer « la gauche du faire », et je suis pour. Je suis pour que nous recensions les bonnes initiatives des maires, que leurs expériences nourrissent notre imaginaire, que nous soyons attachés à changer un peu la vie des gens, au plus près, au plus concret. Mais si ce « faire » ne s’appuie pas, en parallèle, sur une « pensée » (sur la monnaie, sur le commerce, sur le marché, etc.), cette non-pensée, cette impensée, signifiera, en vérité, une acceptation de l’ordre économique établi. Et alors, cette « gauche du faire » ne fera pas grand-chose, elle n’ira pas loin, elle n’essaiera pas pour de bon.
Elle ira d’autant moins loin que jamais elle ne sera élue, qu’elle se hissera péniblement, au mieux, aux 5% : les temps réclament de vrais changements.
Voilà sur le fond, et c’est, en gros, dans la continuité des positions de Jean-Luc Mélenchon.
Maintenant, il y a le ton.
A sa naissance, sortant du ventre de sa mère, un bébé pleure et crie : c’est signe de vitalité. Ce moment, nous l’avons franchi : à dix-sept députés insoumis, avec bruits et humeurs, nous avons existé.
Depuis, des choses se sont modifiées.
A gauche, le centre de gravité s’est clairement déplacé : à la présidentielle, Jean-Luc l’a largement emporté, à gauche, sur tous les autres candidats. Les Insoumis disposent, avec 75 parlementaires, au sein de la Nupes, du groupe le plus important. C’est autour de L’Avenir en commun, le programme insoumis, que s’est bâtie l’alliance des élections législatives. De quoi calmer, sinon éteindre, la « bataille pour le leadership ».
Surtout, une intuition : l’état d’esprit du pays. C’est bien sûr toujours de la psychologie au doigt mouillé, une question de pifomètre : mais les Français me semblent fatigués. Fatigués par les années Covid, guerre en Ukraine, inflation. Fatigués par les querelles, les polémiques à jets continus. Fatigués par l’indécence, par l’arrogance, par l’agitation du forcené de l’Elysée. Ils souhaitent de la paix, qu’on leur fiche la paix. Et le mouvement sur les retraites, si puissant, me paraît habité moins par un désir d’insurrection que de tranquillité, de sécurité, de protection. Il nous faut rassurer, je crois. Rassurer, face à un Macron qui inquiète. Rassurer sur l’ordre que nous allons ramener, dans la santé, dans l’éducation, dans les factures d’électricité, dans les porte-monnaie.
Rien ne sert de répéter « radicalité » à chaque phrase : soyons-le, avec sérénité, avec d’autant plus de force tranquille que nous avons pour nous l’évidence. Qui, aujourd’hui, veut plus de concurrence, de mondialisation, de compétitivité ? Plus personne. C’est fini. Leur monde est mort, même s’il court encore.
***
Jupiter, on a déjà donné.
Il n’y aura pas de Messie, pas de super-héros qui viendra, avec ses petits bras musclés et son magnifique cerveau, qui viendra relever la France. Il y faut une équipe, des forces organisées, et au-delà les milliers, les millions de bonnes volontés. Mais enfin, à ma place, voilà donc le chemin que je nous propose de tracer, sur le fond et dans le ton.
Est-ce le bon ?
Peut-on ainsi l’emporter, gagner une majorité de Français ?
Parviendra-t-on au bout de ce marathon ?
Y sont les bienvenus, en tout cas, tous les compagnons, la gauche dans toutes ses traditions.
Toutes les réa